Tuesday, October 17, 2017

" Shimaguni, modernisation et territorialisation du Japon " de P.Pelletier

   L’article a été publié en 2010 dans le numéro 44 de la revue Ebisu, titré « La modernisation du Japon revisitée. Que reste-t-il de l’approche moderniste ? », sous la direction de Christine Lévy. Philippe Pelletier y propose une approche géopolitique de la construction de l’état japonais, au prisme de la (dé)formation de son territoire. À noter qu’une approche plus géographique qu’historique dans la réflexion sur la modernité japonaise est relativement innovante puisque la tendance est, comme le déplore l’auteur, de considérer cette modernité comme un processus uniquement historique.
    Pelletier annonce d’emblée le fil conducteur de son article ; la construction d’un état japonais qui au fur et à mesure de son histoire moderne s’est de plus en plus mêlée à la définition de son territoire. Forcément incontournables, les éléments historiques et géopolitiques ont transformé le territoire national, en ont changé les frontières, mais également la manière de considérer cet espace. Ainsi il ne s’agit pas d’un passage calme et logique à la modernité occidentale, mais d’une longue et cahoteuse définition de soi au prisme de valeurs héritées de la Chine et adoptée de l’occident. 

   La conception sinisée du territoire japonais, bâtie sur une métagéographie du centre civilisé entouré par une périphérie sauvage, s’est heurtée au moment de la réforme de Meiji à l’état westphalien à l’occidentale. Ce concept central, du nom du traité de Westphalia de 1648, désigne une définition du droit international héritée de la pensée libérale. Le principe en est la souveraineté des états par un contrôle de leur territoire, et la soumission des entités civiles et religieuses de ce territoire. Un dominum en opposition avec le schéma de regnum asiatique : une soumission des sujets au souverain sur un territoire moins fermement défini. C’est l’ouverture forcée du Japon qui a poussé le pays à devoir se définir dans l’espace, a formuler le concept d’un territoire identitaire. Fixer des frontières est alors devenu du même ordre que d’adopter des valeurs occidentales de modernité : pour exister et survivre en tant qu’état-nation. La colonisation, symbole de la domination de l’Ouest, a découlé de cette nécessité de s’adapter.

   Mais il a fallu également créer une identité liée au territoire pour lui donner un sens, et c’est là que le concept de Shimaguni 島国 prends son sens : une identité insulaire pour un territoire insulaire. Une définition déterministe de soi par la nature du territoire. Ainsi le Japon a adopté le modèle westphalien de contrôle de son territoire, tout en débattant avec lui même de la nature de sa nation - entre homogénéité et diversité, isolationnisme et ouverture - et en expliquant ses succès et ses défaites au prisme de cette conception. Une modernité véritablement japonaise, donc, que le territoire a contribué à dessiner.

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